Pourquoi j’ai traversé le Caire à pied, au milieu des pots d’échappement, au bord d’une voie rapide et le long des soi-disant « pires quartiers » du monde comme les bidonvilles ou le cimetière, par 35°C à l’ombre, seule et sans voile ?

Avant de démarrer mon raisonnement, je vais préciser que ma peau est blanche et que je suis, dans cette région du monde “une touriste”. Je ne porte pas de voile car je ne suis pas musulmane mais ma tenue était composée d’un legging noir, jambes longues, et d’une tunique longue à manches longues. Je n’étais pas en short et en top puisque, comme vous allez très vite le comprendre, mon point n’était pas de manquer de respect à mon pays d’accueil mais de comprendre et ressentir l’insécurité quand on est une femme seule dans les rues du Caire… Mais évidemment mon ressenti est biaisé par le simple fait que je n’ai pas grandi dans la culture Egyptienne et que je suis traitée ici différemment des personnes de genre féminin qui ont toujours vécues ici.

Dans les derniers pays du Moyen-Orient que j’ai traversé, j’ai ressenti une forte pression sociale liée au genre (soyons honnête, je ressens cette pression aussi en occident, elle s’exprime juste différemment mais est tout autant problématique). Après avoir essayé de comprendre, parlé avec les gens et enfin essayé d’analyser ce que je ressentais moi-même en tant que femme seule, j’ai découvert que cette pression sociale semblait venir du centre des émotions, de questions culturelles, de l’histoire, de la façon dont on fait société, de la politique, de la religion… Un fameux melting-pot de raisons plus complexes les unes que les autres.

Après avoir discuté avec des femmes, j’ai ressenti beaucoup beaucoup de peur et à juste titre, les histoires que l’on m’a partagé étaient pour certaines vraiment sordides. Après avoir discuté avec des hommes, j’ai été choquée de découvrir qu’ils considéraient être dans le juste car leur intention est bonne : Ils veulent protéger. Protéger face à la peur de l’autre, la peur de la différence, la peur de ce qui est inconnu et plus généralement la peur du changement… Ne dit-on pas “pêcher par excès d’amour” ?

Du coup, on m’a expliqué, comme souvent sur les questions de genre aussi en occident, que “les femmes” étant biologiquement moins fortes que les hommes, les hommes “protègent” (en enfermant, réprimandant, contrôlant…) les femmes des autres hommes, des pauvres, des barbares, de ceux qui n’ont rien à perdre, des voleurs, des violeurs, des pickpockets, des malades… Et tout le monde connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un dont la femme, la cousine, la soeur, la belle-soeur ou la meilleure amie a été attaquée dans la rue pour une raison ou pour une autre, a été sifflée, touchée, agressée, ennuyée, harcelée… Et ces faits sont des faits réels, pas des histoires pour effrayer les enfants. Mais peu de choses semblent être mises en place à un niveau politico-économique ou social pour transformer cet état de violence qui crée cet état de peur (des personnes se battent, mais on ne les entend pas suffisamment… comme en occident de nouveau).

Du coup, j’ai traversé le Caire, seule, sans voile et sans niqab, plusieurs heures dans les pires quartiers du Caire. Mon statut de touriste m’a permis de ne récolter que des sourires, des « hello », des « salam », des expressions du visage qui voulaient plus dire « Tiens, une touriste perdue » que « Tiens, une pauvre femme seule et isolée que je vais pouvoir harceler» et des « do you need help ? » plutôt que des insultes ou encore de quelconques agressions verbales… De nouveau, mon intention était biaisée. Néanmoins, j’ai pu constater que j’étais la seule personne de genre féminin seule dans les rues du Caire. Je n’ai croisé sur ma route que des hommes en groupes d’hommes ou quelques femmes (en famille) qui marchaient rapidement et tête baissée. Et cette sensation d’être la seule femme au milieu des groupes d’hommes a clairement renforcé mon sentiment d’insécurité.

De notre côté, nous les blanc.hes, nous sommes rongé.es par le racisme et peignons un bien piètre tableau constamment des autres cultures qui nous entourent. Est-ce que j’ai eu peur ? Oui mais au final il ne m’est rien arrivé. Est-ce que j’ai eu de la chance ? Oui probablement, pour le même prix, il pouvait m’arriver de tristes aventures comme il en arrive tous les jours aux femmes de ce pays, comme il pourrait m’en arriver aussi en occident tous les jours peu importe où je vais et avec qui je suis. Est-ce que j’ai ce privilège de me sentir “libre” de faire ce genre de move car je suis blanche ? Sans aucun doute. Mais je pense tout autant naïvement que la liberté a un prix dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et je suis prête à payer le prix fort tous les jours.

A mon échelle, je ne trouve pas comment faire bouger les barrières politico-économiques et sociales alors je choisie de combattre ma peur. Ma volonté ici n’était certainement pas de donner une leçon aux Egyptiennes mais plutôt aux occidentales… Le sexisme est partout, tout autant violent peu importe la forme qu’il prend. Nous avons le privilège de notre couleur de peau dans un monde qui est fondamentalement raciste, levons nous et combattons nos peurs, appuyons-nous sur nos privilèges pour faire face aux hommes, à tous les hommes. Et surtout, arrêtons de nous combattre les unes et les autres mais faisons front ensemble, peu importe notre couleur de peau, peu importe notre langue maternelle, notre histoire, nos besoins.

Je rêve d’un monde dans lequel nous serions capables d’exprimer nos limites et nos besoins, de nous assurer de les respecter les unes et les autres et de marcher d’un seul pas… Je connais la chanson, même dans les mouvements féministes nous reproduisons de la violence systémique (Il m’arrive aussi de flirter avec mon égo et avec les rôles de victime, de sauveur et d’oppresseur, c’est malheureux mais nous ne sommes que des êtres humain.es, nous avons des failles). Et si on s’assurait d’avoir des discussions d’adultes, de reconnaître nos failles et de travailler dessus… Ensemble ? Que risquerait-il de nous arriver ?